Entre le Rhin indiscipliné, les bras morts mystérieux et une mosaïque de prairies inondables, les ried du nord alsacien forment une terre vivante où l’eau façonne chaque paysage. Pédaler ici n’a rien d’un banal exercice sportif : c’est l’assurance d’une expérience sensorielle, où chaque tour de roue révèle des mondes secrets et mouvants, théâtre d’une biodiversité exceptionnelle.
Mais d’abord, que signifie au juste “ried” ? Ce mot, issu de l’allemand “Ried” (roselière), désigne localement les prairies et forêts humides traversées par d’innombrables bras d’eau. Ces milieux, longtemps considérés peu hospitaliers, sont aujourd’hui des refuges pour des espèces rares de fleurs, d’insectes et d’oiseaux, ainsi qu’un terrain d’exploration de choix pour les cyclistes curieux. On recense, rien qu’en Alsace, plus de 17 000 hectares de ried entre le nord et le sud de la région (source : Conservatoire des sites alsaciens).
De Seltz à Lauterbourg, plusieurs réseaux cyclables s’enfoncent dans ces zones humides, offrant des ambiances tantôt sauvages, tantôt façonnées par l’homme. Trois points de départ s’imposent pour aborder ces paysages :
À noter : la carte interactive des véloroutes du Bas-Rhin (source : Département du Bas-Rhin) est un allié précieux pour préparer son itinéraire.
Départ conseillé : Seltz, où la commune a aménagé une passerelle cycliste menant directement sur les digues et les chemins de halage. Suivre la “Véloroute Rhin” vers Munchhausen, puis bifurquer sur les sentiers balisés “Delta de la Sauer”. Ici, le Rhin coule à l’état presque brut : l’eau dompte, façonne, inonde… parfois pour le bonheur des saumons, aujourd’hui de retour dans la Sauer après un siècle d’absence (source : Plan Rhin Vivant).
Les matins d’avril, la lumière douce nimbe les prairies encore perlées de rosée. À cette heure, le consentement des sens : le parfum légèrement âcre des joncs, la vibration dans l’air d’un vol de vanneaux, puis l’apparition fugace d’une biche. Si l’on tend l’oreille, un habitant de Munchhausen aime raconter :
Démarrant du centre de Lauterbourg, l’itinéraire file le long des berges de la Lauter. On croise les anciennes bornes frontières sculptées au XVIIIe siècle, mémoire d’un temps où l’Alsace du Nord défendait sa singularité entre royaumes. Arrivé à Kesseldorf – village typique du Ried, maisons basses et séchoirs à foin en bois – un arrêt s’impose devant l’ancien moulin à eau (parfois ouvert à la visite lors des Journées du patrimoine).
Côté nature, les prairies inondables voisinent ici avec un rare reliquat de forêt alluviale, où l’iris des marais illumine le printemps et où, avec un peu de chance, le cincle plongeur – petit oiseau noir et blanc – presse son manège sur les rivières vives. Les naturalistes locaux du CINE de Munchhausen recensent dans ce secteur plus de 150 espèces d’oiseaux différentes sur le seul mois de mai (source : CINE Munchhausen).
Un itinéraire plus ambitieux s’ouvre à ceux qui veulent pousser vers la Petite Camargue Alsacienne au sud de Lauterbourg (à 15 km au sud de Seltz en longeant le Rhin). Cette réserve naturelle, la plus ancienne de France (créée en 1982), s’étend sur près de 1 000 hectares de bras morts, prairies humides et forêts inondées. On y compte, rien que pour la période estivale, plus de 35 espèces de libellules et 250 de papillons diurnes (source : Petite Camargue Alsacienne).
Une halte à Mothern, avant de rejoindre la réserve, permet d’admirer son église baroque, rare témoignage de l’architecture religieuse rurale. Sur le chemin, étangs de pêche, ateliers de tisserands (visite sur rendez-vous) et, avec un peu de chance, un pêcheur racontant ses prises légendaires au lever du jour :
Le cycliste attentif ne manque pas de surprises ! Sur quelques kilomètres à peine, on passe de prairies sèches à des mares couvertes d’iris ou de fritillaires pintades, cette fleur menacée qui a presque disparu d’Europe de l’Ouest et qui trouve ici des reliquats bien gardés (source : Conservatoire des Sites Alsaciens).
Quelques espèces emblématiques observables dans le secteur :
La saison printanière offre le plus beau festival de chants d’oiseaux. Un expert local, ornithologue amateur, partage :
Explorer les ried et zones humides à vélo, c’est parcourir un milieu fragile et essentiel. Ces territoires, longtemps ignorés, retrouvent aujourd’hui une place précieuse dans la conscience collective. Ils filtrent l’eau, accueillent la vie, offrent des paysages changeants et des émotions rares à ceux qui s’y aventurent avec respect. Pédaler ici, c’est déjà contribuer à leur préservation, en apprenant à mieux les ressentir et les aimer – et pourquoi pas, en devenant, à son rythme, un ambassadeur du patrimoine vivant du nord alsacien.